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Arnaut Oihenarte

    (1592-1667)

 

C'est notre premier écrivain non religieux. Il a exercé d'avocat de prestige dans les provinces de Basse Navarre et Soule. Dans sa production nous trouvons une importante histoire du Pays Basque, rédigée en latin et qui définit le pays comme un ensemble harmonieux. Il a également écrit L'art poétique basque, premier travail théorique sur notre littérature. Sa production en basque est l'application pratique de cette théorie: richesse des rimes, invention de nouvelles formes de strophes, exactitude dans la versification, choix et traitement des sujets, un langage culte... Il a écrit par ailleurs un recueil de proverbes. Oihenarte est malheureusement l'exemple dont pendant des siècles la littérature basque a manqué.

 

MOI JE N'AIME PERSONNE SAUF VOUS

        Arnaut Oihenarte , 1657

 

 

Moi, je n'aime personne, sauf vous ;

pourquoi, vous, voulez-vous me repousser ?

Il serait temps déjà que vous deveniez meilleure,

et teniez compte de moi.

Si vous ne voulez pas achever de me tuer net,

comme vous l'avez déjà presque fait ;

car mon coeur, voyant

que vous me tournez toujours le dos ainsi,

déjà pétrifié de froid et sans vie,

ne bouge plus du tout en moi :

mais si vous voulez, vous,

l'y ressusciter vite et le réveiller,

faites, au nom de Dieu,

que je vous voie quelque part un moment;

Mais je voudrais qu'il n'y eût

avec vous personne d'autre que vous-même

et que vous vinssiez en un lieu

où l'on ne verrait aucun spectateur.

 

Si parfois, en vous priant longtemps, longtemps,

en modérant la dureté de votre coeur,

je reçois la promesse que vous viendrez quelque part,

vous ne la tenez même pas par la suite.

 

Si nous nous trouvons tous deux seuls quelque part,

vous êtes toujours pressée ;

si alors, pour vous dire deux mots,

je prends votre main,

comme, aussitôt, toute courroucée

et ce front tout plissé,

vous me donnez l'ordre de vous laisser,

je n'ai pas l'audace d'insister davantage.

 

Si la nuit, à la dérobée, entrant dans votre maison,

marchant doucement, respirant doucement,

et, en tâtonnant, ayant traversé deux chambres,

en grande peur,

à bout de souffle, j'arrive près de votre lit,

vous poussez un grand cri en

m'ayant aperçu,

et à cet instant, pauvre de moi,

en sautant par la fenêtre tel un voleur,

je dois m'éloigner, peiné à en mourir.

Lorsque je me rappelle ces faits,

très sincèrement, je désire la mort ;

mourir est un mal, mais un plus grand mal encore

d'aimer et de n'être pas aimé.

Aussi, à partir de ce jour,

secourez-moi, au nom de Dieu,

de quelque bonté, car la beauté est inutile

si elle n'a pour compagne la bonté ;

au contraire, ce qui est méchant tout en étant beau,

c'est tout comme du lait quand il est plein de mouches,

une pomme véreuse,

un bel enfant la tête couverte de croûtes

ou un visage de damoiselle

tout rempli de marques de petite vérole.

Donc, afin que vous soyez exempte de reproches,

venez à celui qui, par trop longue attente,

est en train de mourir,

et prenez-le, je vous prie, en compassion ;

sinon, il va mourir, et vous,

vous ne serez célèbre que pour cela seul :

parce que vous aurez perdu un homme ;

et pourquoi ? parce qu'il vous aimait.

 

 

Traduction: René Lafon / Jean-Baptiste Orpustan

Version originale": NIK EZ DUT EHOR MAITE ZU BEIZI

 

© Arnaut Oihenarte    

© Traduction: René Lafon / Jean-Baptiste Orpustan    

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